1. Åases Tod
  2. Ich weiß nicht, was soll es bedeuten
  3. Jeg gik mig ud en Sommertag
  4. Rota
  5. Anoj pusej dunojelio
  6. Riga dimd
  7. Saulīt’ vēlu vakarāi
  8. Kungla rahvas
  9. Masurka
  10. Kristallen den Fina
  11. Laula kultani
  12. Kaipaava
  13. Ievan Polkka
  14. Kak-to rannim utrom
  15. Kon’
  16. Visur vatnsenda-Rósu

Baltique

Erreur
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Ce programme, monté entre octobre 2018 et juin 2019, a fait l’objet de treize représentations à Venise et dans toute la France, ainsi que d’une tournée estivale en 2019.

Ténor 1 : Maxime Chevalier | Ronan Fabre | Alexandre Leroux | Thibaut Martin | Elias Nmeir | Arthur Pascault | Camille Villemin

Ténor 2 : Hugo Demontis | Baptiste Galabrou | Thibault de Monval | Arthur Navecth | Gauthier Piechaczyk | Thomas Pigeon | Antonin Romary

Baryton : Benjamin Battagli | Felix Cassiani-Ingoni | Thibaut Judalet | Victor Kwihangana | Théodore Lafarge | Emmanuel Mourier | Alexandre Wellers

Basse : Philippe Bourdier | Théophile Busschaert | Vagator Camus | Boris Juillard | Guillem Lopez | Clément Tafin | Jérôme Vatère

Direction : Loïk Blanvillain

Prise de son et mixage : Sonambule
Graphisme : Céline Tcherkassky | Loïk Blanvillain

Le désir têtu me démange
l’envie me trotte la cervelle
d’aller entonner la chanson
bouche parée pour le chant mage
égrenant le dit de ma gent
la rune enchantée de ma race.

Les mots me fondent dans la bouche
grains de gorge, pluie de paroles
ils se ruent, torrent sur ma langue
ils s’embruinent contre mes dents.

Petit frère, mon ami d’or,
mon beau compagnon de jeunesse !
Fais-moi compagnie pour le chant
viens-t’en me joindre au jeu des runes
car nous sommes en ce jour ensemble
après maint jour en d’autres bords !

Rare est le jour qui nous rassemble,
le temps que nos chemins se croisent
en ces confins de pauvres terres,
champs de Norois, terres piteuses.

Topons ça, la main dans la main,
doigts glissés par entre les doigts
pour entonner la chanson bonne
et bailler la rune meilleure.
La foule d’or pourra l’entendre
pour savoir, la flopée curieuse,
ceux de la jeunesse levante,
haute pousse, les ouailles belles.

Ce sont les mots de l’héritage,
runes tournées au baudrier
du vieux Väinämöinen, […]
barbe sage, barde sans âge,
au fin fond des champs de Pohja,
les landes du Kalevala.

Le Kalevala, Exorde.
réunit par E. Lönnrot, trad. G. Rebourcet

Côtes de la mer Baltique

Prologue

À l’heure où le monde n’a jamais été aussi global, à l’heure où une certaine uniformisation culturelle est à l’œuvre, et où s’efface ainsi une diversité essentielle au cumul des identités de chacun, à l’heure où penser autrement semble chose bien difficile du haut de notre XXIe siècle, nous avons décidé cette année de travailler sur une entité géographique particulière, traversée par autant de cultures qu’elle possède de paysages. La mer Baltique, ce sont des milliers de kilomètres de côtes que se partagent plusieurs pays qui ont tous leurs similitudes et leurs différences. Ils n’ont pas la même langue, n’envisagent ni le futur, ni le passé, ni la création du monde de la même façon. Mais ils partagent ensemble un horizon et un rivage, celui d’une mer qui les rassemble et qui les nourrit, et qui leur offre, depuis la nuit des temps, l’ambre précieuse et chaude que les vagues déposent inlassablement sur le sable.

Mais la Baltique, c’est aussi un territoire à l’imaginaire fort où le vent souffle continuellement sur la mer froide, levant les embruns, déchirant l’écume sur la coque de notre fragile embarcation, au long des interminables nuits d’hiver, et ravivant à nos mémoires les fragrances kalévaléennes : celles des paroles toutes puissantes qui font sens et qui, par ici, fabriquent le monde. Ce sens de la parole, on le retrouve également dans l’Edda poétique : c’est grâce à elle que le monde s’ordonne et se souvient ; car la mémoire, ici, c’est l’oralité. Et cette parole, malgré des différences culturelles originelles, se conjugue à travers les chants et les contes qui, eux, n’ont pas de frontière. Le conte évolue, s’adapte au temps du conteur, à la pensée de ceux qui écoutent, se regroupant dans la douce chaleur des flammes autour de la fabrication d’un imaginaire commun.

Là est l’argument de ce programme. Raconter, par nos chants et par nos contes, glanés le long de ces rivages, l’histoire d’une occasion géographique qui a permis l’émergence d’une identité plurielle. L’histoire d’un espace où la parole est reine et où l’imaginaire porte loin, comme l’ombre des hommes sous un lointain soleil.

Loïk Blanvillain

L’Oiseau et l’Anneau d’Ambre

Les anciens racontent que loin au nord, dans un pays de forêts, de bois et de bouleaux, s’étendait un royaume différent des autres en ceci qu’il lui manquait des contes, que ses habitants auraient pu se raconter les soirs d’hiver dans leurs chalets, quand la tempête souffle furieusement derrière les fenêtres. Tous les contes, disait-on, avaient été emportés par l’oiseau Bulbulis. Et le roi de cette contrée lointaine envoyait inutilement ses vaillants et audacieux chevaliers à sa recherche.

Jusqu’au jour où un petit vieillard, aussi fragile qu’un fétu de paille, demanda audience auprès du souverain. « Je sais où se trouve l’oiseau », dit l’ancien. « Chaque soir, l’oiseau Bulbulis va dormir dans une cage d’or suspendue à un tilleul à trois couronnes de feuillage. Ce tilleul pousse dans le jardin d’un palais qui se dresse derrière neuf prairies, neuf collines et neuf rivières. Rappelle-toi bien que seul celui qui a le cœur pur et bon aura droit aux conseils de l’oiseau. » Et avant que le roi ne l’interroge, il avait disparu. Alors le roi fit appeler ses trois fils. « Je sais où se trouve l’oiseau Bulbulis et nos contes », leur dit-il. « Je serais heureux qu’au moins l’un d’entre vous le retrouvât. Et celui qui ramènera l’oiseau, celui-là me succèdera sur le trône ». Le premier des princes partit dès le lendemain. Il traversa neuf collines, neuf prairies et neuf rivières. À peine la neuvième rivière traversée, il se retrouva dans le jardin d’un palais où poussait une forêt de bouleaux. Dans une clairière, il trouva le tilleul à trois couronnes de feuillage et, suspendue à la couronne centrale, une cage d’or dont la porte était ouverte. Puis, des chants d’oiseau se firent entendre, d’une telle beauté que le prince en fut envoûté. Toute la clairière resplendissait d’une lueur dorée quand Bulbulis apparut, se tenant sur une branche, près de la cage d’or. L’oiseau commença à parler d’une voix triste : « Tout le monde sommeille déjà, et il n’existe pas un être vivant qui puisse me dire, à moi, d’aller dormir… ». « Va dormir, oiseau Bulbulis, va dormir… ». Mais à ces mots, l’oiseau bâtit de l’aile, et le prince se transforma en bouleau. Ne voyant pas revenir son fils, le roi envoya son cadet à sa recherche. Mais celui-ci, tout comme son aîné, fut trompé par l’oiseau et transformé en arbre à l’écorce de neige.

Alors le roi fit venir Ilin, le plus jeune des princes, et le chargea d’aller secourir ses deux frères et de ramener l’oiseau. Ilin traversa neuf prairies, neuf collines et neuf rivières. Il trouva la clairière dans laquelle se dressait le tilleul à trois couronnes de feuillage et aperçu la cage ouverte. Bientôt l’oiseau Bulbulis arriva. « Tout le monde sommeille, sauf moi. Qui me dira au moins un seul mot secourable ? ». Le prince ne souffla mot. L’oiseau sautilla alors jusque dans sa cage et s’endormit. Ilin s’approcha sans bruit du tilleul. Il remarqua que Bulbulis portait un anneau d’ambre à l’une de ses pattes. Il le retira doucement, puis il ferma la porte de la cage d’or. Aussitôt, l’oiseau se réveilla : « Délivre-moi ! Délivre-moi ou je te change en bouleau », commença-t-il à crier.

« J’ai justement idée que, si tu me parles ainsi, c’est que tu as ensorcelé mes frères. Dis-moi plutôt comment les délivrer ou je laisserai cette porte close. ». Ainsi prisonnier, Bulbulis céda : « Ces deux bouleaux, juste derrière toi, sont tes frères. Pour qu’ils reviennent à la vie, tu dois verser une poignée de terre sur leur feuillage. » Ilin s’exécuta et instantanément, ses deux frères furent délivrés. Puis les trois princes décidèrent de rentrer au palais. Ils suivirent la neuvième rivière jusqu’à la mer, où elle se jetait. Ilin portait la cage d’or contenant l’oiseau sans se douter que ses deux frères la convoitaient. Lorsqu’ils s’allongèrent sur le rivage pour dormir, les deux aînés attendirent que le plus jeune s’endorme, s’emparèrent de lui, et le jetèrent dans la mer aussi loin qu’ils le purent. Ensuite, ils se saisirent de la cage et rentrèrent chez eux sans se retourner.

Mais Ilin ne se noya pas. Non loin de l’endroit où ses frères l’avaient jeté, se trouvait, dans les abysses profonds, le château d’ambre de la Reine de la mer. Elle savait fort bien ce qui venait de se passer et envoya deux sirènes afin de ramener le jeune homme au château. Là seulement, le souffle de la vie lui revint. Reconnaissant alors la Reine de la mer, assise là, à son chevet, il la remercia pour sa bienveillance. « Mes frères ne m’ont même pas laissé le temps d’écouter le moindre des contes que l’oiseau Bulbulis avait emporté loin de chez nous », dit-il. Mais la Reine secoua la tête : « Tu en entendras, Ilin ! Ces contes sont enfermés dans l’anneau d’ambre que tu as retiré de la patte de l’oiseau. Il suffit de l’enfiler à ton doigt et de le tourner neuf fois. ». Ilin tira le petit bout d’ambre de sa poche, l’enfila à son doigt et commença à le tourner lentement. Mais avant, il fit ouvrir toutes les portes, les fenêtres et les barrières afin que les contes s’envolent dans le vaste monde. Au neuvième tour, il entendit une voix paisible qui commença à raconter ces paroles que nous venons vous rapporter ici. Et c’est depuis ce temps qu’au-delà des montagnes, des mers et des forêts, qu’au delà des prairies, des collines et des rivières, les contes envahirent le monde entier, au plaisir de notre imaginaire.

conte lituanien
rédaction : Loïk Blanvillain

La Misère

Un laboureur très pauvre avait une fort jolie fille ; le propriétaire du village en devint amoureux et voulut l’épouser à tout prix. Mais la jeune fille ne pouvait le souffrir ; et les parents ne voulaient en aucune façon consentir au mariage. Le maître, pour se venger, les tourmentait de toutes les façons, exigeait d’eux toute espèce de corvées et les faisait bâtonner à la moindre occasion. Le laboureur finit par perdre patience et résolut de quitter le village avec toute sa famille. Or, dans la chaumière qu’il avait habitée jusqu’alors, on entendait sans cesse piauler je ne sais quoi derrière le poêle ; ils avaient bien souvent cherché ce que cela pouvait être ; ils avaient retourné le foyer sens dessus dessous, mais ils n’avaient rien pu trouver. Le jour de leur départ, en enlevant leur pauvre mobilier, ils entendirent derrière le poêle un bruit de plus en plus fort. Tandis qu’ils prêtaient l’oreille, crac ! crac ! voici que sortît du foyer une figure maigre et pâle, quoi que tout de même, en somme, une assez jolie fille.

– Quel diable cela peut-il être ? tonna le père.
– Juste ciel ! s’écrièrent la mère et tous les enfants.
– Je ne suis pas le diable, gémit la frêle créature, je suis votre misère : j’ai appris que vous déménagiez, il faut que vous m’emmeniez avec vous. Le laboureur n’était pas si bête ; il réfléchit un moment. Au lieu de chercher à étrangler sa misère – elle était si fine et si leste qu’il ne lui aurait certainement rien fait – il s’inclina profondément devant elle.
– Madame, lui dit-il, puisque vous vous plaisez tant avec nous, accompagnez-nous ; mais, comme vous le voyez, nous faisons nous-mêmes notre déménagement, soyez assez bonne pour nous aider un peu.

La dame y consentit et voulut prendre quelques légers ustensiles ; mais le laboureur les donna aux enfants et lui dit qu’il avait oublié dans la cour un billot qu’il lui fallait aussi emporter ; il se précipita dans la cour, ouvrit le billot d’un coup de hache, et pria poliment la misère de l’aider à enlever cet objet si lourd. Elle ne savait comment s’y prendre ; le laboureur lui montra la fente, elle y mit ses doigts longs et fins. L’autre, tout en feignant de l’aider, enleva brusquement sa cognée ; les doigts longs et fins restèrent pris dans le bois. Elle eut beau crier, gémir, se démener ; rien n’y fit. Le laboureur rassembla à la hâte tout son mobilier, partit, et se garda bien de jamais revenir en cet endroit. Il fut désormais très heureux et devint bientôt le plus riche paysan du village où il était allé s’établir ; sa fille épousa le fils d’un honnête voisin, un beau et brave garçon ; tous vécurent en joie.

Le seigneur de l’ancien village, l’oppresseur des misérables, eut un tout autre destin. Voulant distribuer les maisons vides à de nouveaux habitants, il vint visiter celle que notre laboureur avait habitée. Qu’y trouva-t-il ? Une pâle fille qui se débattait en vain les doigts pris dans un billot. Il eut pitié d’elle, enfonça un coin dans le bois et la délivra. À dater de ce jour, la pâle misère ne quitta plus son libérateur ; malgré son âge, il en devint amoureux. Pour elle, il gaspilla si bien toute sa fortune qu’il devint pauvre à son tour.

conte polonais
rédaction : Loïk Blanvillain

La Cité Engloutie

Au temps jadis, se dressait au bord de la mer, épargnée par les embruns et protégée des vents, une ville qui s’appelait Vineta. C’était la ville la plus prospère du monde d’alors, car elle s’était enrichie du commerce maritime et terrestre, et parce que la mer érigeait pour elle un rempart puissant contre d’éventuels envahisseurs. La cité était crainte, enviée et haïe par toutes les villes d’alors, car ses habitants se partageaient la richesse du monde. Les murs des maisons étaient couverts de l’ambre précieuse ; les dames ne portaient que des robes en velours de soie et couvraient leurs habits de bijoux étincelants. Il n’y avait pas de pauvre dans la cité, ou du moins, ceux qui ne pouvaient montrer ostensiblement leur richesse en étaient impitoyablement chassés. La cité n’ouvrait ses portes qu’aux étrangers fortunés, et les fermait aux mendiants et aux pauvres voyageurs qui demandaient asile pour la nuit. La richesse et le luxe de la ville n’avait ainsi de pareil que l’égoïsme de ses habitants.

Or, une nuit, alors que Vineta était en fête et que l’or et le vin coulaient à flot dans ses rues, un jeune garçon arriva à la porte de la cité. Il avait faim de son long voyage et était pauvrement vêtu ; et les habitants de la ville lui en refusèrent l’entrée en se moquant ouvertement de lui et de sa pauvre existence. Or, ce garçon était de haute destinée, puisque les dieux avaient décidé qu’il devrait un jour devenir roi d’un grand pays. Alors les dieux se fâchèrent et déclenchèrent une tempête si puissante qu’elle équivalait à treize années de pluie, de vent et de vagues. Les digues qui protégeaient la ville s’effondrèrent ; la terre se mit à trembler ; et dans un bruit assourdissant, la ville toute entière fut engloutie au fond des eaux.

La tempête et les brumes, les siècles passèrent. Peu de gens aujourd’hui se souviennent de cette histoire. Mais si un jour la tempête remue les eaux, y formant des creux profonds, si la brume dissout la lumière de l’astre d’argent, alors tendez l’oreille. Peut-être entendrez-vous les pleurs de Vineta perdue à jamais par la vanité de ses gens dans les flots qui gagnent toujours.

légende balte
rédaction : Loïk Blanvillain

Les Trois Nœuds

Cet automne-là, la misère s’abattit sur le hameau de pêcheurs. On aurait dit que tous les poissons avaient déserté la mer. Jour après jour, les hommes revenaient bredouilles. Or, un filet vide, c’est comme une grange vide : tous deux provoquent la famine. Quand elle se fit sentir dans toutes les chaumières, les pêcheurs résolurent d’aller prendre conseil chez le vieux Kaarel, car tout le monde l’estimait pour sa sagesse. Et Kaarel ouvrit son armoire et en sortit une écharpe multicolore un peu fanée. Il la lissa de sa main avec un sourire et dit aux pêcheurs : « Cette écharpe, la Reine de la mer me l’a offerte. Je l’ai portée toute ma vie et la chance en mer ne m’a jamais quitté. Je vous donne cette écharpe enchantée, mais attention ! Comme vous pouvez le voir, elle comporte trois nœuds. Lorsque vous déferez le premier, vous déclencherez les vents favorables dans vos voiles. Lorsque vous dénouerez le second, vos filets s’empliront de poissons. Contentez-vous de cette première prise. Quant au troisième nœud, ne le dénouez à aucun prix : il ne vous apporterait que du malheur. » Les pêcheurs prirent l’écharpe fanée et promirent de respecter ces conditions.

Dès le lendemain, ils se préparèrent pour la pêche, plièrent leurs filets sur leur plus grande barque, remontèrent les voiles et se mirent à ramer. Tandis qu’ils quittaient le port, le timonier dénoua le premier nœud et un vent impétueux s’éleva, gonflant les voiles de l’embarcation, et la faisant avancer comme une flèche. La côte avait déjà disparu à l’horizon quand le vent cessa, faisant tomber les voiles et immobilisant le bateau. Alors les hommes mirent leur plus grand filet à la mer, et le timonier défit le deuxième nœud. Aussitôt, la surface de l’eau se rida et lança un éclair d’argent. Des milliers et des milliers de poissons s’agglutinaient dans le filet. Les pêcheurs le remontèrent lentement afin de ne pas en perdre le moindre. Mais espérant ramener plus de poissons, ils décidèrent de défaire le troisième nœud, rompant ainsi leur promesse. Aussitôt, une tempête sauvage se déclencha et les vents emportèrent la petite embarcation loin, très loin sur la mer en furie.

Longtemps après, la quille du navire s’ensabla dans les fonds et l’embarcation accosta sur une petite île. Elle semblait déserte mais soudain les marins aperçurent une lueur devant eux. Ils la suivirent à travers la pluie jusqu’à la cabane d’un pêcheur. Alors, de l’embrasure de la porte, apparut un petit vieillard fragile. Les années avaient courbé sa silhouette, et sa longue barbe d’argent lui tombait jusqu’aux genoux. « Entrez-donc, mes frères, ne restez pas sous la pluie », leur dit-il pour les accueillir. « J’ai chauffé la pièce et préparé du thé », ajouta-t-il. Après une première tasse de thé, les marins commencèrent à questionner leur hôte : Qu’était-ce que cette île dont ils n’avaient jamais entendu parler ? Et comment ce faisait-il qu’un vieil homme les y attendît ? « Dans ces confins », répondit le vieil homme, « la tempête est très rare. Lorsqu’un tel enfer survient, il nous arrive d’ordinaire un bateau. C’est pourquoi je vous attendais. Vous avez été conduits ici par la Reine de la mer. Racontez-moi donc cela… » Honteux, les marins se turent en buvant leur thé brûlant. Puis le timonier, rassemblant son courage, raconta comment la misère et la faim s’étaient installées dans le village, comment ils étaient allés trouver Kaarel et comment le vieillard les avaient aidés. Il raconta ensuite comment ils en étaient venus à défaire les nœuds de l’écharpe, jusqu’au troisième, rompant la promesse qu’ils avaient adressée au vieux pêcheur.

Le lendemain matin, des trombes d’eau continuaient à tomber du ciel, et la tempête faisait toujours rage. Quand le vieillard vit les marins si tristes et découragés, il déclara : « Vous vous êtes punis vous-mêmes, et c’est bien fait pour vous. Mais en souvenir de vos pauvres familles et de mon ami Kaarel, je vais vous aider. Donnez-moi ce foulard. » Les marins le lui donnèrent. Le vieil homme sortit sur le seuil et agita le morceau de tissu en direction de la mer. Puis il refit consciencieusement le troisième nœud interdit. Alors la pluie cessa, la tempête se calma. Comme des flèches d’or, les rayons du soleil transpercèrent les épais nuages. Les marins rejoignirent leur bateau, prenant congé du vieil homme. Celui-ci, sur le rivage, fit jaillir de la paume de sa main un zéphyr qui les ramènerait chez eux. Le soir, le bateau atteignait son port d’origine. Dans toute la région, ce fut la joie à l’occasion du retour des pêcheurs et de leur gros chargement. Il n’y aurait plus ni faim, ni misère. Tous les enfants du village apprirent à faire des nœuds. Et ils en firent partout : aux ficelles, aux cordes, aux mouchoirs… Et depuis ce jour, on affirme dans la région : « Ce nœud ne pourra se défaire. Il est solide comme la parole d’un marin ! »

conte esto-finlandais
rédaction : Loïk Blanvillain

Jurate & Kastytis

À l’aube des temps, Perkunas, le dieu du tonnerre, régnait sur le monde. Il avait pour fille la déesse Jurate, qui vivait dans son château de corail au fond de la mer, où elle devait épouser Patrimpas, le dieu des étendues sous-marines, des vagues et de l’écume. Sur le rivage de cette mer, dans un paysage battu par les vents glacés chargés de neige, vivait Kastytis. C’était un pêcheur comme ces terres en connaissent : il était courageux, gagnait difficilement sa vie et arrivait à peine à subvenir à ses besoins et à ceux de sa vieille mère qu’il entretenait. Malgré cela, ils vivaient heureux tous deux, se contentant de peu et se réchauffant de leurs histoires auprès du feu.

Un jour que Kastytis n’avait pas réalisé une bonne pêche, il s’en fut jeter son filet un peu plus loin, dans le domaine de Jurate. La pêche s’en trouva excellente, et rapidement les nasses se remplirent de poissons argentés. Mais Jurate, qui ne permettait pas que les hommes pêchent en son territoire envoya ses messagers prévenir le jeune impertinent que cet écart ne devait pas se renouveler. Kastytis, toujours à son labeur, eut peur en voyant apparaître les deux messagers de Jurate dans leurs armures d’écaille. Il jura de ne plus venir pêcher dans ce périmètre et s’en fut rapidement, heureux de pouvoir tout de même ramener son chargement de poissons. Mais un jour que la pêche se faisait attendre, poussée par quelque vent contraire, sa petite embarcation dériva un peu trop, et, sans même s’en rendre compte, il jeta de nouveau son filet dans le territoire interdit de la déesse de la mer. Jurate, décida alors d’aller elle-même chasser le pêcheur de son domaine. Rapidement, elle se dirigea vers la surface, mais, quand elle aperçut le jeune homme, charmée par sa beauté, elle ne put se résigner à le chasser. Longtemps, elle l’observa : il souriait et riait des pleins filets qu’il sortait des eaux sombres. Amoureuse malgré elle de ce petit pêcheur, Jurate résolut de l’emmener avec elle dans son château sous-marin. Alors que Kastytis lançait une dernière fois son filet, elle l’attrapa, le tira de toutes ses forces divines, et fit tomber le jeune homme dans l’eau glacée. Sitôt le pêcheur sous la surface, elle l’emmena dans son château de corail, au fond des mers. Mais Perkunas, son père, le dieu du tonnerre, n’entendait pas les choses de cette façon. Pris de colère du fait que sa fille décide d’épouser un mortel, il détruisit de sa foudre le château, réduisant en cendre Kastytis, et enferma Jurate pour l’éternité dans une geôle de corail qu’il fit construire sur les ruines du château.

Aujourd’hui, rares sont ceux qui connaissent cette histoire qui s’est déroulée en des temps immémoriaux. Mais quand la tempête fait rage, que les vagues se dressent et que l’écume attaque les côtes de la mer, alors viennent se déposer sur les rivages de petits morceaux d’ambre. Regardez-les bien, n’ont-ils pas une forme particulière ? Maintenant vous le saurez : ce que les vagues rejettent en ces soirs de tempêtes, ce sont les larmes d’ambre que la déesse des mers, derrière ses grilles de corail, continue de pleurer.

légende balte
rédaction : Loïk Blanvillain

Conte du Tsar Saltan

Il était une fois trois sœurs dans une pauvre maison de bois. Elles devisaient par la fenêtre, évoquant ce qu’elles feraient si elles devenaient tsarines : l’une offrirait un festin grandiose, où chacun serait invité ; l’autre tisserait du drap pour le monde entier ; et la troisième donnerait au tsar un fils qui deviendrait chevalier. Or, à cet instant passait non loin de là le tsar Saltan qui, charmé par le souhait de la troisième des jeunes filles, décida de l’épouser. Le soir même, le tsar organisa un grand banquet en l’honneur de ses noces avec la troisième sœur tandis que les deux autres en étouffaient de jalousie. Rapidement, des signes de grossesse couronnèrent l’union du tsar et de la nouvelle tsarine, laissant imaginer un heureux événement.

Mais bientôt, le tsar Saltan dû retourner à la guerre, et enjoignit son épouse de bien s’occuper d’elle-même. Tandis qu’il guerroyait, cette dernière donna naissance à un fils et envoya un messager prévenir le tsar. Mais les deux sœurs jalouses interceptèrent le message et le remplacèrent par un autre, affirmant que la tsarine avait mis au monde une bête inconnue et repoussante. À cette nouvelle, le tsar, affligé, renvoya le messager, répondant à sa femme qu’elle attendît son retour avant de décider quoi que ce fut au sujet de l’enfant. Là encore, le message fut intercepté par les deux sœurs, ordonnant aux gardes de la cour de jeter la tsarine et son fils à la mer. A contrecœur, ceux-ci exécutèrent les ordres qu’ils pensaient venir de leur maître et enfermèrent la tsarine et le prince dans un tonneau qu’ils jetèrent ensuite dans les eaux froides et sombres. Le tonneau fut longtemps, très longtemps, ballotté par les flots. Au bout de plusieurs années, il s’échoua sur un rivage inconnu. La tsarine et le prince, accostèrent sur une île déserte où, sur une colline, poussait un grand chêne. Avec une de ses branches, le prince se fabriqua un arc et partit à la recherche de gibier. Or, sur le rivage, il aperçut un cygne se battre avec un oiseau de proie. De sa flèche unique, il abattit le rapace. Le cygne l’en remercia et lui conseilla de retourner dormir auprès de sa mère.

Au matin, le prince et la tsarine découvrirent devant eux à la place du grand chêne une ville magnifique. Ils s’y rendirent et furent fêtés par la population qui bientôt fit du prince son roi. Or, quelques temps après, des marins, voyant scintiller sous le soleil les coupoles dorées d’une ville, décidèrent d’accoster sur l’île. Ils transportaient une cargaison de fourrures au tsar Saltan, qui résidait plus loin vers l’Orient. Le prince les pria de saluer le tsar et l’invita à lui rendre visite. Cette nuit-là, le prince eut un songe et alla se promener le long du rivage. Soudain, le cygne apparut. Le prince lui conta son rêve : « Il est quelque part une princesse magnifique qui a un croissant de lune d’argent aux cheveux et une étoile d’or au front. Toi qui m’a donné cette ville, indique-moi où se trouve cette princesse. Car que serait un roi sans sa reine ? » Alors le cygne battit de l’aile et se transforma en la jeune femme. Ébloui, le prince décida de l’épouser.

Alors on fit des noces grandioses dans cette ville merveilleuse. Escortés par trente-trois chevaliers flamboyants, le prince et la princesse traversèrent toute la ville sous les acclamations de leur peuple. Du haut de son palais, le prince vit alors arriver la flotte du tsar et s’en fut l’accueillir en grande pompe, faisant sonner les cloches et tonner les canons. Lorsque le tsar vit la reine mère, il reconnut sa femme et pleura de chaudes larmes. Tous se joignirent alors au banquet de noces, dans l’allégresse générale. Tous, sauf les deux sœurs qui, tapies de honte dans un recoin, finirent rapidement par avouer leur vilenie. Toutefois, le tsar Saltan était si heureux qu’il les laissa rentrer chez elles, et finit la journée à moitié ivre. Je peux en témoigner, j’y étais, j’ai bu de l’hydromel et de la bière, j’y ai tout juste trempé mes moustaches.

conte russe
rédaction : Loïk Blanvillain

Épilogue

Déjà les voiles blanches de notre fragile embarcation s’éloignent et se perdent dans l’étendue mêlée de brumes. Comme pour ces cités englouties, les vagues absorbent, inlassablement, les chants et les mots que nous, pauvres bardes, sommes venus semer dans l’oreille d’un auditeur attentif.

Rêver permet ainsi d’ouvrir des mondes. L’imaginaire commun les structure. Et l’imaginaire commun, c’est celui qui anime les hommes sur un bateau, quand ils rament côte à côte. C’est aussi celui qui s’éveille le soir autour d’un feu, quand les anciens racontent ; c’est enfin, nous l’espérons, ce soir, où nous avons partagé ensemble le temps profond de mondes lointains. Ces mondes sont réels, puisque nous pouvons les décrire ; les mots en sont les fondements. Et peut-être, si nous les convoquons, s’ouvriront-ils de nouveau ; peut-être que Väinämöinen le barde sacré pourra de nouveau y faire raisonner sa voix profonde. Car si d’aucuns disent qu’il est parti, les textes assurent qu’il reviendra…