1. Les Tisserands
  2. C’est la petit’ fill’ du prince
  3. Untreue
  4. Das Edelweiss
  5. Okolo Hradišča
  6. Eli Eli
  7. Dana Dana
  8. Tarbotüznel
  9. Ederlezi
  10. Nane Tsora
  11. Casuta Noastra
  12. S’nami Bog
  13. Kaval Sviri
  14. Divane Aşık Gibi

Orient-Express

Erreur
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Ce programme, monté entre octobre 2016 et juin 2017, a fait l’objet de huit représentations dans toute la France et d’une tournée estivale en 2017.

Ténor 1 : Roman Castaingts | Maxime Chevalier | Antoine Domecq | Thibaut Martin | Camille Villemin

Ténor 2 : Vincenzo Bellizzi | Aladin Brac de la Perrière | Baptiste Chatenet | Thibault de Monval | Arthur Navecth | Thomas Pigeon | Antonin Romary

Baryton : Clément Aquilina | Benjamin Battagli | Théophile Busschaert | Louis Duboys Fresney | Thibaut Judalet | Emmanuel Mourier

Basse : Philippe Bourdier | Louis Breton | Tibère Camus | Théodore Lafarge | Guillem Lopez | Odo Paganelli | Jérôme Vatère

Direction : Loïk Blanvillain

Prise de son et mixage : Alban Judalet | Louise Buchart
Graphisme : Céline Tcherkassky | Loïk Blanvillain

Prologue

À l’heure où chaque pays pense à garder ses portes closes, à l’heure où l’Orient et l’Occident cherchent à se défaire pour mieux se refaire, nous sortons ce disque, travail d’une année, qui porte sur la recherche d’un lien entre ces deux parties du monde.

C’est un voyage ; un voyage entre deux capitales culturelles en cette fin de XIXe siècle : Paris d’une part, qui rayonne de ses lumières, et Constantinople, colonnes d’Hercule du monde merveilleux des Mille et Une Nuits et des lueurs du Levant. Déjà, Montesquieu avait rédigé ses fameuses Lettres Persanes ; déjà, Mozart avait composé sa célèbre Marche Turque. L’Orient fascine et l’Istanbul d’alors représente la porte de ce monde, aux premières fragrances des jasmins de Damas, aux premiers rubis des femmes du Chah d’Iran, aux premières médecines des savants de Bagdad, à cet univers méconnu qui, à la lecture des poèmes de Khayyam incite au rêve, pousse à l’imagination. Méconnu, certes, mais désormais si proche grâce au chemin de fer.

Mais l’Orient-Express c’est aussi, et surtout, une traversée de l’Europe. Une Europe bien différente de celle d’aujourd’hui, composée d’empires immenses qui rassemblent, dans leurs limites, plusieurs cultures, plusieurs langues, plusieurs peuples, et même, parmi eux, certains peuples nomades, comme les Tziganes pour qui, comme ils le disent, les murs détruisent le vent.

Car ces terres que traverse notre train profitent d’un brassage culturel incroyable : l’Empire Ottoman est allé par deux fois jusqu’aux portes de Vienne, et les accords diplomatiques ou les campagnes napoléoniennes ont fait parler de la France dans le moindre petit village de Roumélie.

C’est donc dans ce paysage riche de sa diversité que nous vous proposons de nous suivre, aux rythmes de nos chants, à la lecture de textes, au long de cette voie qui a fait couler tant d’encre. L’équipe complète du Chœur d’Hommes de La Villette vous souhaite un excellent voyage.

Loïk Blanvillain

France

Il leva une dernière fois les yeux, il regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouant la masse des pavillons d’un portique de lumière ; et, battant la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L’énorme charpente de fonte se noyait, bleuissait, n’était plus qu’un profil sombre sur les flammes d’incendie du levant. En haut, une vitre s’allumait, une goutte de clarté roulait jusqu’aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil avait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses grilles ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient, et l’on eût dit l’épanouissement magistral de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait se traîner et se grossir dans l’ombre. A droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule.

Émile Zola, Le Ventre de Paris, 1873

Allemagne

« Mais moi je me tourne vers la Nuit sacrée, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Là-bas gît le monde, au creux d’un profond sépulcre enseveli – vide et solitaire est sa place. Aux cordes du cœur bruit la profonde mélancolie. Que je tombe en gouttes de rosée, que je m’unisse à la cendre ! Lointains du souvenir, vœux de la jeunesse, rêves de l’enfance, de toute une longue vie l’inutile espérance et les brèves joies se lèvent dans leurs vêtements gris, pareils à la brume du soir quand le soleil s’est couché. Ailleurs, dans d’autres espaces, la lumière a déployé ses tentes d’allégresse. Pourrait-elle ne retourner jamais vers ses fils qui l’attendent avec la foi de l’innocence ? »

Novalis, Hymne à la nuit

Hongrie

En friche hongroise

Je marche avec peine dans un pays sauvage :
Sur la terre ancestrale, luxuriante, herbes folles, adventice.
Je connais ce champ sauvage,
C’est la Friche hongroise.
Je me penche vers l’humus sacré :
Cette terre vierge est rongée.
Dites donc, les herbes folles dressant au ciel,
Il n’y a ici aucune plante qui fleurisse ?
Autour de moi serpentent des tiges sauvages
Tant que je scrute l’âme endormie de la terre,
Le parfum des fleurs du passé
M’enivre amoureusement.
C’est calme. L’herbe folle, adventice
Me retiennent, m’endorment, me blindent
Et un vent rieur passe, léger,
Au-dessus de la Friche infinie.

Ady Endre, 1905

Tziganes

« Entre les roues des chariots,
Mal drapés de tapis vétustes,
Brillent les feux. Chaque famille
Cuit sa soupe. Des chevaux paissent
Dans les champs ; derrière une tente,
Se vautre un ours apprivoisé.
La steppe s’anime aux travaux
De la tribu qui se prépare
A repartir dès le matin.
Chants des femmes, cris des enfants,
Tintement du fer sur l’enclume.
Mais le silence du sommeil
S’étale bientôt sur la horde.
Et l’on n’entend plus dans la plaine
Qu’un cheval qui hennit, qu’un chien
Qui hurle au loin ; les feux s’éteignent.
Tout dort. Du haut d’un ciel serein,
La lune lumineuse éclaire
Le campement silencieux…
[Au matin, tout change]

Tout s’ébranle à la fois, la horde
Dévale à travers le désert.
Les ânes, dans de grands paniers
Transportent des enfants joueurs.
Maris et frères, femmes, filles,
Jeunes et vieux, refrains tziganes,
Grognements de l’ours, cliquetis
De ses chaînes impatientes,
Couleurs criardes des haillons,
Enfants, aïeuls déguenillés,
Chiens qui hurlent, chiens qui aboient,
Ronflement de la cornemuse,
Grincement des lourds chariots,
Tout est pauvre, brisé, sauvage,
Mais si instable, si vivant… »

Alexandre Pouchkine, Les tziganes

Bulgarie

Deux beaux yeux. L’âme d’un enfant
Dans deux beaux yeux ; – Musique – rayons de soleil.
Ils ne veulent pas et ne promettent pas…
Mon âme n’est que prière,
Enfant,
Mon âme n’est que prière !
Les passions et les malheurs
Jetteront demain sur eux
Le voile de la honte et du péché.
Le voile de la honte et du péché –
Jamais ne sera jeté sur eux
Par les passions et les malheurs.
Mon âme n’est que prière,
Enfant,
Mon âme n’est que prière…
Ils ne veulent pas et ne promettent pas ! –
Deux beaux yeux. Musique, rayons de soleil
Dans deux beaux yeux. L’âme d’un enfant.

Peyo Yavorov, Deux beaux yeux, 1910

Constantinople

« […] je gardai toute mon attention pour le mouvement du port, encombré de navires de toutes nations, sillonné en tous sens par les caïques, et surtout pour le merveilleux panorama de Constantinople déployé sur l’autre rive.
Cette vue est si étrangement belle, que l’on doute de sa réalité. On croirait avoir devant soi une de ces toiles d’opéra faites pour la décoration de quelques fééries d’Orient et baignées, par la fantaisie du peintre et le rayonnement des rampes de gaz, des impossibles lueurs de l’apothéose. Le palais de Seraï-Bournou avec ses toits chinois, ses murailles blanches crénelées, ses kiosques treillagés, ses jardins de cyprès, de pins parasols, de sycomores et de platanes ; la mosquée du sultan Achmet, arrondissant sa coupole entre ses six minarets pareils à des mâts d’ivoire ; Sainte-Sophie, élevant son dôme byzantin sur d’épais contreforts rayés transversalement d’assises blanches et roses et flanquée de quatre minarets ; la mosquée de Bayezid, sur laquelle planent comme un nuage des bouffées de colombes ; Yeni-Djami ; la tour du Séraskier, immense colonne creuse qui porte à son chapiteau un stylite perpétuel guettant l’incendie à tous les points de l’horizon ; la Suléimanieh avec son élégance arabe, son dôme pareil à un casque d’acier, se dessinent en traits de lumière sur un fond de teintes bleuâtres, nacrées, opalines, d’une inconcevable finesse, formant un tableau qui semble plutôt appartenir aux mirages de la fata Morgana qu’à la prosaïque réalité. L’eau argentée de la Corne-d’Or reflète ces splendeurs dans son miroir tremblant, et ajoute encore à la magie du spectacle ; des vaisseaux à l’ancre, des barques turques carguant leurs voiles ouvertes comme des ailes d’oiseaux, servent, par leurs tons vigoureux et les noires hachures de leurs agrès, de repoussoirs à ce fond de vapeur à travers laquelle s’ébauche avec la couleur du rêve la ville de Constantin et de Mahomet II. »

Théophile Gautier, Constantinople, 1852, édition Bartillat, Paris, 2008