1. El grillo
  2. Lu guarracino
  3. Vehni, vehni fijolica
  4. Shkoj e vij flutrim si zogu
  5. Hava nagila
  6. Téssera poimeniká ásmata
  7. Agiá Marina
  8. Ksenitiá tou Érota
  9. Entarisi ala benziyor
  10. Dio vi salvi Regina
  11. La Libertat
  12. El Vito
  13. Pesah ala manu
  14. Tahuzzut
  15. Zikr
  16. Yara
  17. Yal asmar ellon
  18. Fog elna khel

Méditerranée

Erreur
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Ce programme, monté entre octobre 2019 et juin 2021, a fait l’objet de treize représentations dans toute la France, ainsi que d’une tournée estivale en 2021.

Ténor 1 : Pierre Barthomeuf | Roman Castaingts | Maxime Chevalier | Ronan Fabre | Benoît Hébert | Alexandre Peron | Thibaut Martin | Camille Villemin

Ténor 2 : Adrien Duchon | Baptiste Galabrou | Alexandre Leroux | Thibault de Monval | Arthur Navecth | Arthur Pascault | Thomas Pigeon

Baryton : Victor Kwihangana | Andrea Mazzella | Emmanuel Mourier | Ferdinand Mourier | Théo Seguin | Alexandre Wellers | Clément Wioland

Basse : Étienne d’Anglejean | Philippe Bourdier | Louise Buchart | Vagator Camus | Guillem Lopez | Odo Paganelli | Clément Tafin | Jérôme Vatere

Darbouka : Ahmad Zieno

Direction et oud : Loïk Blanvillain

Prise de son et mixage : Sonambule
Graphisme : Céline Tcherkassky | Loïk Blanvillain

Prologue

« Méditerranée.

Dans ce livre, les bateaux naviguent ; les vagues répètent leur chanson ; les vignerons descendent des collines des Cinque Terre, sur la Riviera génoise ; les olives sont gaulées en Provence et en Grèce ; les pêcheurs tirent leurs filets sur la lagune immobile de Venise ou dans les canaux de Djerba ; des charpentiers construisent des barques pareilles aujourd’hui à celles d’hier… Et cette fois encore, à les regarder, nous sommes hors du temps. Ce que nous avons voulu tenter, c’est une rencontre constante du passé et du présent, le passage répété de l’un à l’autre, un récital sans fin conduit à deux voix franches. […]

Qu’est-ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. Voyager, en Méditerranée, c’est trouver le monde romain au Liban, la préhistoire en Sardaigne, les villes grecques en Sicile, la présence arabe en Espagne, l’islam turc en Yougoslavie. C’est plonger au plus profond des siècles, jusqu’aux constructions mégalithiques de Malte ou jusqu’aux pyramides d’Égypte. C’est rencontrer de très vieilles choses, encore vivantes, qui côtoient l’ultramoderne : à côté de Venise, faussement immobile, la lourde agglomération industrielle de Mestre ; à côté de la barque du pêcheur, qui est encore celle d’Ulysse, le chalutier dévastateur des fonds marins ou les énormes pétroliers. C’est tout à la fois s’immerger dans l’archaïsme des mondes insulaires et s’étonner devant l’extrême jeunesse de très vieilles villes, ouvertes à tous les vents de la culture et du profit, et qui, depuis des siècles, surveillent et mangent la mer.

Tout cela parce que la Méditerranée est un très vieux carrefour. »

Fernand Braudel, La Méditerranée
Introduction

Introduction

Quand Fernand Braudel écrit ces lignes, en juin 1942 au camp disciplinaire de Lübeck, loin du soleil de Méditerranée, sous le ciel pâle du Schleswig-Holstein que la fenêtre de sa geôle ne lui permet pas de voir, il ne fait pas preuve de légèreté. Il a conscience des conflits, des migrations, des obus, de la pauvreté et de la mort. Il en a conscience en Méditerranée comme il subit la guerre qui l’affecte considérablement. Mais ces événements furtifs, aussi terribles soient-ils, sont pour lui moins importants que l’Histoire longue qui lie pour toujours l’avenir des hommes. Ce qui compte à ses lignes, c’est la Méditerranée dans sa capacité à rassembler, dans sa géographie particulière, dans ses peuples liés par une destinée commune, partageant un même rivage, dans ses religions différentes se nourrissant les unes des autres, proposant une philosophie et un art de vivre. Celle qui fut pendant trois mille ans le centre du monde, la Mer Intérieure des romains, Mare Nostrum, notre mer. Un flux et un reflux perpétuel de cultures, de savoir-faire, d’innovations technologiques, de richesses, roulant leurs mélodies de galets sur les grèves et cultivant de part et d’autre l’olivier, la vigne et le blé. Cette volonté de faire de ce monde rocailleux un chez soi, sous son soleil cru, sous ses orages de violence, parfois. De reconnaître celui d’en face. De compléter ses alphabets.

En un concert en écho d’une rive à l’autre, d’un chant à l’autre, de ces chants qui peuvent allègrement, malgré les guerres, les épidémies, les vents contraires et les courants inattendus, traverser les frontières, nous vous proposons ici une récréation. Mais une récréation en conscience. Guidés par les œuvres de poètes qui racontent à la lumière des chants de toujours les jardins de douceurs et les déserts acides d’aujourd’hui, ce concert est une proposition que nous apportons, mes compagnons et moi, avec ferveur et que, pour notre bonheur, vous acceptez le temps d’une écoute. C’est une opportunité, une page blanche tendue pour imaginer ensemble, de nos palettes de couleurs, le futur d’une mer indivisible et plurielle.

Loïk Blanvillain

Naples

petites pâtes à la purée de lentilles
puis fiarielli une herbe locale
épicée d’un suc amer dont le piquant
contredit la douceur du mot sur la langue
la ville à peine aperçue est un fumet
d’images où des jardins à pic font des failles
parmi l’étagement coloré des rues
nulle part cité pareillement debout
elle tasse le temps sous la pierre blonde
le jaune et le rouge qui teintent ses murs
l’histoire est ici un présent perpétuel
tous les yeux vous regardent en face et font
que toujours on marche au milieu de la vue

le château de l’Œuf couvre on ne sait trop quoi
ses murs protègent la fragile coquille
qu’il suffit de briser pour ruiner la ville
le passant rêve que cet œuf jamais vu
est l’œil arraché au cyclope et gardé
au plus profond du fond dans un bain de larmes
toutes les rues sont pavées de blocs de laves
chacun peut ainsi piétiner le volcan
il fait le mort ce matin sous un nuage
à moins qu’il ne joue soudain au porte ciel
quelques palmes on dirait des cous de girafes
tirent des révérences au cœur de la vue
partout les gestes font en l’air ce que font
arabesques et volutes aux plafonds baroques
et les vagues à la surface de la mer

Bernard Noël

Au bord de la mer

Depuis toujours, j’ai rêvé d’une chanson
Dont les vers
Seraient comme les dunes en bordure de mer,
Édifiées sans rimes ni raison
Par l’eau et par le vent
Au gré des belles et des mauvaises saisons.
Une chanson venue au monde naturellement
Et qui mourrait de sa belle mort
(Pour autant qu’elle soit promise à ce sort)
Comme les dunes au bord de la mer. […]

Ce n’était pas dans une chanson,
Mais sur une grève.
Une mélodie,
Des langues différentes. […]

Bonsoir, la mer,
Ma route est longue,
Je m’en vais.
J’emporte tout dans ma valise, sauf cet air
Que je n’ai pu enlever,
Car la chanson n’est pas une chaise longue
Qu’on peut plier pour la ramener de la plage.
Née de l’eau et du sable,
La chanson leur appartient en propre.
Je puis seulement la visiter de temps à autre
Comme un père
L’enfant qu’il a eu avec quelque femme étrangère.
Ses paroles finissent
Là où la frontière hésite,
Là où viennent s’aligner à leur suite
Les rides d’un monde outremer.

Ismail Kadaré
traduit de l’albanais par Claude Durand, Mira Mexi, Edmond Upja

Tu entres au Pirée

Soir profond. Tu entres au Pirée
apportant caisses de poissons et farines.

Salut Pirée, toi et ta crasse, ton huile, tes wagons,
et les barbeaux durs comme l’acier dans tes beuglants.
Les lanternes pisseuses des bars
au plafond de ton ciel nous éclairent la nuit
des mollets de coq arpentent la rue boueuse,
des fesses d’hommes desséchées
comme le cul d’un chien mal nourri.

Hippies de Pelàtrona, bellâtres de Troùba.

Salut Pirée, toi et ta pauvreté,
tes putes, les entrepôts de raisins secs.
Dimitràkis, la furie dans la tête,
a jailli comme l’obus qui part tout seul.
Une courbe de fusée, il s’est éteint là-haut,
avant la chute.
Notre meilleur ami s’est pointé soudain
après dix ans… – « Salut, vous me remettez ? »
Et nous – « Místos, comment va ? », mais lui
est reparti, dans le vent… et dans les rue criaient, s’injuriaient
brutes et voyous, trafiquants et camés.

Voilà ta vie, Pirée, voilà mon bien. […]

Yorgos Markopoulos
traduit du grec par Michel Volkovitch

Terre vive

Cap Sounion

Où la mer lentement progresse,
Là-bas, reposent les îles.

Sur l’eau accablé de ténèbres,
L’homme recueillait les promesses
D’un soleil bientôt absent.
De ce temps-là, le vent des démesures se laissait boire,
Les colonnes du silence veillaient.

Au loin, la mer délaisse son noueux combat ;
Embrasse l’île envoilée. Se confie, éprise.

Là-bas,
La terre ne parle pas pour rien.

Andrée Chedid

Dattiers

En ligne en file les dattiers
leurs paumes ouvertes vers les cieux
portent les premiers rayons de soleil.
Chacun égrène un chapelet de trente-trois grains
dattiers glaise de miel
leurs verts tapis de soie volent vers nous du désert
dattiers dattiers dattiers.
Leurs palmes leurs doigts
leurs doigts ailes de tourterelle
entre les cyprès, les toits de tuile, les fils électriques
et les antennes de télévision
se dressent comme de vieux derviches

souvenirs…

Mehmet Yashin
traduit du turc par Alain Mascarou

Les exils de l’Orient

le soir est la plus belle des histoires
s’il est bien raconté

dans tout ce qui est vrai il y a un peu
de colère un peu d’épouvante
dit une fable
si le verre est fin plus fin est le vin
la vie, de la souffrance au rouge
la mort, de la tristesse au blanc
et s’il vient une rose
elle vient de cette séparation de routes
absolument et en tout cas

l’exil que nous avons fondé de nos propres mains
il n’y a pas de bannissement plus dur
que nous vivions ou non
décret pour l’espoir et pour l’automne
daté de l’ère impériale de la rose :
quoi que nous ayons aimé depuis aujourd’hui
et quoi qu’il soit resté d’hier
qu’il transforme la souffrance en rubis
qu’il transforme la tristesse en diamant

parce que le soir est la plus belle des histoires
s’il est bien raconté

Hilmi Yavuz
traduit du turc par Michèle Aquien, Guzzine Dino, Pierre Chuvin

Sieste

Aiguilles plantées
– cœur de l’après-midi –
Il souffle un vent très las,
extase de quatre heures :
août endormi.
Toute une mer s’égrène :
sans vague, sans nul sens.
Plage de Dieu
qui dans l’air poursuivi
vainc sur le sable
un cheval d’or,
d’agreste azur, d’oubli.

Jaime Siles
traduit de l’espagnol par Laurence Breysse-Chanet

La lumière a pesé longtemps sur ma mémoire
j’étais démembré sur grains de sable
un corps d’encre
pris à l’argile du matin
pris à l’algue vierge
le jour
avec des gants
retire le rire
aux pierres de la ville

Un verre de thé sur la natte
le vent ramène le nuage bleu
égaré dans le bois
les vieux parlent du passé
les jeunes parlent peu
fument et rient
le ciel s’éloigne des sables

Je tourne le dos à la ville
et parle avec la mer
retournée la voix
comme la vague
les épaves ont gardé les cicatrices
des mémoires vagabondes
l’écume vient déposer le sel sur l’ancre
épouvantail des enfants orphelins

Tahar Ben Jelloun

Dans la pénombre

Pour toute moisson
Cette poignée d’écume
Dérobée à la rumeur de la mer
Et le souvenir brûlant
Brûlé comme laurier amer
Ton ombre

Épine de la rose qui sombre
Dans la pénombre
Des années qui passent sans détours
Coquillage blessé sur le rivage
Égaré par l’horizon
Vidé de ton nom
Ces pas confus
De ne plus savoir
Marcher vers toi
Dans la lueur du soir déjà absent
Le retour inutile
Comme souvenance rebelle
Baignée au loin par la vague inquiète
Pourrait-il retenir le soleil de se coucher
Effacer la trace du vent
Lavant
Son visage
Couvert par la nuit depuis longtemps

Tahar Bekri

Conclusion

De la Méditerranée qui rit à la Méditerranée qui pleure, de la Méditerranée qui berce à celle qui invite à la danse, nous avons ici parcouru ensemble ces chemins d’écume, ces sillages, qui relient les identités de ces peuples et les accents de ces langues dans un tout d’une diversité qui en fait sa richesse. Puissent alors les hommes se souvenir que ce vaste territoire maritime est avant tout une centralité, un commun, tant à nos économies qu’à nos imaginaires. Une mer qui rassemble et non une mer qui divise. La mer Méditerranée et non le mur Méditerranée.

Loïk Blanvillain

Épilogue

« En 1961, ma mère achète une caméra 8mm, et la première chose qu’elle filme, c’est la mer. Quoi de plus banal qu’un plan de mer ? Pourquoi filmer le plus visible ? Comment une jeune pied-noir de dix-sept ans regarde- t-elle la mer, avec l’idée qu’elle risque l’exil, et que l’histoire la poussera peut- être au-delà de cette mer, qui s’est toujours présentée à elle comme le Nord et qu’elle devra apprendre à regarder comme le Sud ? La mer, qui est à l’origine de tous ces peuples déracinés et exilés, l’origine commune, fondamentale, indéchirable, de ceux que l’on appelle les méditerranéens.

On les voudrait insouciants, solaires évidemment, dans une jeunesse éternelle. L’art d’être avec tout, c’est la Méditerranée. L’art d’être au monde, souriant et désirant, c’est la Méditerranée. Des gestes simples : plonger dans les vagues, grimper aux arbres, se protéger du soleil, fleurir sa maison, monter sur un âne, jouer de la flûte dans la canicule, mettre un chapeau de paille sur la tête d’un vieillard, rire torse nu, tout ça c’est la Méditerranée. Une chose née de la pauvreté et de l’orgueil. Une philosophie, oui, mais qui refuse de s’apparenter à la douleur et à la mort ; qui vient librement, sans discours, entre le farniente et la danse. Le solstice de l’humanité que les peuples du Nord ne comprendront jamais. L’inquiétude, pour nous, est un royaume chimérique. »

Olivier Py
introduction au court métrage Méditerranées
production Sombrero films et Les films du dimanche, 2010